Permettez-moi de vous convier à une visite singulière, une exploration au cœur d’un patrimoine immobile, figé dans le temps. Voici le tableau que nous dressons aujourd’hui : des squelettes d’habitations, épars sur les collines siciliennes, pareilles à des feuilles mortes aux teintes rougeoyantes. Ces tuiles égarées composent pourtant l’un des panoramas les plus saisissants de Mondello. Mais, derrière cette beauté apparente, se cache un autre récit : celui de la collina del disonore, symbole des résidences inachevées. Fenêtres béantes, façades nues, ces constructions abandonnées témoignent d’une existence sans vie, d’un potentiel jamais réalisé.
Ce phénomène, baptisé incompiuto, s’étend bien au-delà de la Sicile. Il ponctue la péninsule italienne de projets fantomatiques, des infrastructures qui n’ont jamais atteint leur terme. Plus de mille projets demeurent figés, victimes de malfaçons, d’opacités financières, de lourdeurs administratives ou encore de coûts insoutenables. Ainsi, nous rencontrons l’hôpital déserté de Carmine, l’autoroute piémontaise s’arrêtant au milieu d’un champ, ou encore le complexe de La Maddalena, vestige d’un G8 jamais accueilli. Ces œuvres ambitieuses, abandonnées en cours de route, forment les contours d’un pays invisible, une Italie suspendue entre son ambition et son incapacité à aller jusqu’au bout.
Les photographies de Roberto Giangrande, exposées ici, éclairent ces vestiges sous une lumière crue, presque chirurgicale. Aucun souffle de vie ne trouble ces clichés empreints d’un voile fané. Ces images figent l’absurde dans sa plus grande récurrence, révélant des lieux dont la mémoire s’efface faute de présence humaine, incapables d’ancrer un quelconque souvenir. Entre un passé sans but et un futur repoussé à l’infini, les inachevés se dressent, muets.
Enfin, un texte de l’écrivain Roberto Ferrucci, en conclusion de cet ouvrage, nous éclaire sur le contexte politique et social qui a engendré ces abandons. En dialogue avec le regard minutieux du photographe, il nous invite à une réflexion plus profonde sur ce qui reste lorsque l’ambition cède face à l’échec.
Voici, Mesdames et Messieurs, non pas l’état d’un pays en marche, mais celui d’un territoire suspendu. Que le marteau tombe sur cette observation, et que chacun emporte en lui la réflexion qu’elle inspire. Adjugé, le silence.